La pression exercée par la pandémie nous a forcés à changer la façon dont nous percevons nos relations et nos liens avec ceux qui nous entourent, tant dans notre vie personnelle que professionnelle. Pour la Dre Elsie Nguyen, radiologiste cardiothoracique et vice-présidente de la Société canadienne de radiologie thoracique (CSTR), c’était faire le choix urgent d’intervenir et de prendre soin du bébé de quelqu’un qui l’a aidée à s’occuper de ses propres enfants : sa gardienne, Lola Saliko.
Lola a dû subir une césarienne d’urgence pour accoucher de son petit garçon en raison d’une aggravation de l’infection à la COVID-19 qui menaçait sa vie et celle de son bébé, comme l’a rapporté le Toronto Star au début de l’été. Lola venait de commencer son congé de maternité à 8 mois de grossesse, un jour avant son dernier jour de travail pour la Dre Nguyen. Son mari Flori a eu de la fièvre et a finalement été testé positif à la COVID, mais présentait des symptômes légers. Quelques jours plus tard, Lola est également devenue symptomatique avec de la fièvre et de la toux, et a finalement été testée positive à la COVID. Ses symptômes ont rapidement progressé au cours des jours qui ont suivi, et elle avait des difficultés à respirer. « Je n’arrivais pas à faire rentrer de l’air dans mes poumons », a-t-elle déclaré. Au milieu de la nuit, elle et son mari ont appelé une ambulance et ils ont été amenés à l’hôpital Mount Sinai. Elle était alors terrifiée, plus inquiète pour la santé et le bien-être de son bébé que pour elle-même.
« Je n’ai pas pu voir mon bébé », a-t-elle confié à Bruce Arthur du Star. « Je venais d’accoucher, et ils ont emmené le bébé. J’ai été intubée juste après. Je ne me suis jamais réveillée. »
Pendant ce temps-là, la Dre Nguyen examinait une série d’images radiologiques prises des poumons de femmes enceintes positives à la COVID dans des unités de soins intensifs de Toronto. Elle s’arrêta sur l’image d’un cas particulièrement grave. Le nom de la patiente lui était familier, et elle réalisa que ces poumons ravagés par la COVID étaient ceux de la gardienne de ses enfants.
« Je pense vraiment que le fait d’être radiologiste et de voir la radiographie de Lola m’a fait ressentir le traumatisme encore plus violemment, car j’avais rapporté tellement de radiographies du thorax chez des personnes qui n’avaient pas survécu à la COVID-19 », a déclaré la Dre Nguyen. « J’ai été témoin de la tragédie à plusieurs reprises. Lola aurait pu être une tragédie parmi tant d’autres. J’étais terrifiée à l’idée que Lola ne survive pas à son syndrome de détresse respiratoire aiguë induit par la COVID, et que son bébé soit orphelin de mère. »
Pour certains, ce qui s’est passé ensuite dépasse largement le cadre des fonctions d’un radiologiste, mais la Dre Nguyen n’a pas hésité à apporter son aide. « Je ne sais pas si vous croyez au karma », a-t-elle déclaré au Star. « Lorsque vous vous trouvez face à quelqu’un qui a besoin d’aide, vous pouvez choisir de faire quelque chose ou de détourner le regard. Si vous faites le mauvais choix, cela peut vous hanter toute votre vie. » Elle a immédiatement téléphoné à Flori, le mari de Lola, pour s’occuper du nouveau-né.
L’accouchement s’est bien déroulé, mais le bébé avait besoin d’oxygène et a finalement été stabilisé dans l’unité de soins intensifs néonatals de l’hôpital Mount Sinai, sous les soins experts de leurs médecins et infirmiers. Lola était toujours intubée et ventilée et devait rester dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital dans un coma artificiel. Après une semaine en soins intensifs néonatals, le petit Lorik était prêt à quitter l’hôpital. La Dre Nguyen a accompagné Flori à l’hôpital Mount Sinai pour aller chercher le bébé. Elle a dû attendre dans la salle d’attente, car elle n’était pas la mère du bébé. Conduisant séparément, Flori et la Dre Nguyen se sont retrouvés chez elle, où Flori lui a confié Lorik. Pendant cette période, elle a regardé plusieurs vidéos YouTube pour se rafraîchir la mémoire sur comment nourrir les nouveau-nés au biberon et sur la quantité de préparation pour nourrissons correspondant à la consommation moyenne. Cela faisait plus de cinq ans qu’elle n’avait pas tenu un nouveau-né dans ses bras. Elle a contacté des amis pour obtenir des articles pour bébé, car elle avait déjà donné tous les siens à ses proches. Elle a pris des congés afin de s’occuper du nouveau-né. Elle raconte que la première nuit hors de l’hôpital a été éprouvante et agitée pour elle et pour le bébé, mais cela s’est progressivement amélioré à mesure qu’elle parvenait à mieux comprendre les signaux de Lorik.
« Le fait de m’occuper du petit Lorik m’a permis de faire une pause et de réfléchir à ma propre vie. Nous parlons d’entreprises essentielles et non essentielles. Qu’est-ce qui est essentiel pour moi et pour ma vie? Qu’est-ce qui est vraiment important et comment je veux vivre ma vie à l’avenir? », a déclaré la Dre Nguyen. « Beaucoup d’entre nous ont opéré des changements pendant cette pandémie, car le confinement nous a donné le temps de penser et de réfléchir. J’ai décidé de m’éloigner des objectifs élevés et parfois trop ambitieux et de commencer à me fixer des objectifs plus modestes. J’ai décidé de me mettre moins de pression en général et de profiter du moment présent pour passer du temps avec ma famille et mes amis. J’ai décidé de simplifier ma vie, de me débarrasser des choses que je n’appréciais plus et de passer plus de temps avec mes enfants à faire des choses simples comme jouer aux cartes, faire du vélo et cuisiner ensemble. »
Plusieurs jours se sont écoulés avant que Lola ne se réveille après avoir été mise sous sédatif et intubée dans l’unité de soins intensifs. On lui a dit que Lorik se portait bien dans sa maison temporaire. Il était en bonne santé et en sécurité avec la Dre Nguyen. Comme son bébé, Lola s’est très bien rétablie grâce aux soins experts des médecins et des infirmiers qui l’ont soignée. Elle a pu sortir après presque deux semaines d’hospitalisation et s’est rendue directement chez la Dre Nguyen pour vivre un moment qui se partage le plus souvent depuis un lit d’hôpital : tenir son bébé pour la première fois.
« Au bout du compte, j’ai appris que le contact humain est ce qui m’apporte le plus de bonheur, et que je dois consacrer mon énergie à entretenir les relations qui ont été négligées du fait du chaos et du traumatisme causés par la pandémie », a déclaré la Dre Nguyen.
Cet incroyable acte de bonté mérite d’être applaudi.