Gilles Soulez, Ania Kielar, Casey Hurrell, Heidi Schmidt
Ralph Waldo Emerson a écrit en 1860 que « la première richesse est la santé ». Après bientôt deux ans de pandémie de COVID-19, les perturbations et les retards persistants dans les procédures d’imagerie diagnostique et interventionnelle continuent de nuire à la santé et au bien-être des Canadiens, ce qui a des répercussions sur le bien-être économique du pays. Des investissements sont nécessaires dès maintenant.
Article récent du CARJ : « Doing more with less: CT and MRI utilisation in Canada 2003–2019 »
Cet article publié dans le CARJ par Dowhanik et al arrive à point nommé pour rappeler à nos autorités sanitaires la nécessité d’investir pour améliorer l’accès des patients canadiens à l’imagerie (5). Les radiologistes partout au Canada ont été contraints de « faire plus avec moins » en raison du sous-investissement et de la demande croissante en radiologie. Le nombre d’appareils de TDM et d’IRM au Canada est nettement inférieur à la médiane des unités par habitant de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Grâce à des horaires de service prolongés et aux efforts de nos technologues et radiologistes, les établissements d’imagerie canadiens peuvent générer plus d’examens par unité que leurs homologues de l’OCDE. Cependant, nous dépassons encore largement les temps d’attente recommandés pour nos patients souffrant d’affections non urgentes.
Malheureusement, la pandémie de COVID-19 a créé un stress supplémentaire sur un système déjà sous pression, détériorant encore davantage notre capacité à soigner nos patients dans un délai acceptable. Les équipes de radiologie de tout le pays ont fait preuve de résilience pendant la pandémie et ont pu maintenir un haut niveau de productivité en adaptant les flux de travail, tout en assurant la sécurité des patients et la qualité des soins. Cependant, dans plusieurs provinces, les équipements et les ressources humaines dont nous disposons ne permettent pas de venir à bout des retards supplémentaires qui se sont accumulés pendant les premières vagues de la pandémie de COVID-19, et la situation continue de s’aggraver.
Nous avons besoin d’investissements stratégiques pour utiliser plus efficacement les équipements existants, pour acheter des équipements supplémentaires afin d’étendre et de remplacer les unités vieillissantes, et pour embaucher et retenir des technologues mieux formés afin de répondre à la demande croissante en imagerie.
Les ressources humaines en radiologie s’épuisent et nécessitent un réinvestissement
Un récent sondage mené auprès des radiologistes canadiens a révélé que les ressources humaines en santé constituaient la principale limite à l’augmentation de la capacité d’imagerie (3). Si davantage de technologues étaient disponibles, les temps de fonctionnement des équipements d’imagerie existants pourraient être étendus. Pendant la journée, le fait d’avoir deux technologues au lieu d’un peut accélérer le temps de traitement/renouvellement de la salle (6). Cependant, comme l’ont constaté Dowhanik et al., l’utilisation des appareils d’IRM et de TDM existants au Canada dépasse le nombre d’examens réalisés par appareil rapporté dans d’autres pays de l’OCDE. Les examens de TDM et d’IRM étant très demandés, la plupart de nos appareils fonctionnent à la capacité maximale du personnel avec des horaires étendus (de 12 à 24 heures par jour). Ainsi, même si des gains supplémentaires pourraient être obtenus, la marge laissée pour améliorer la capacité et le débit d’imagerie est limitée. De plus, l’épuisement professionnel est une préoccupation constante et croissante pour les radiologistes et les technologues (7).
L’IA n’en est qu’à ses débuts, mais son potentiel est considérable
L’intelligence artificielle (IA) « opérationnelle » a le potentiel d’optimiser le nombre de patients examinés et d’aider les technologues à obtenir des examens de haute qualité. L’IA « diagnostique » aidera également les radiologistes en triant les cas urgents, en détectant les résultats fréquents et en automatisant les mesures standard et les modèles de rapports. Nous devons donc investir dans ces innovations. Le Comité permanent sur l’IA de la CAR peut aider à évaluer et à valider ces nouvelles solutions d’IA, afin de les mettre à la disposition de nos patients partout au Canada. Un investissement ciblé visant à soutenir la mise en œuvre d’algorithmes d’IA pour optimiser le flux de travail et accélérer le temps d’interprétation est clairement nécessaire. Cependant, l’intégration de ces logiciels dans le flux de travail clinique est encore en cours et les bénéfices de ces investissements devraient se concrétiser dans quelques années, plutôt qu’à court terme. Investir stratégiquement dans les technologies de l’information pour permettre à chaque province de mettre en œuvre des systèmes de prescription centralisés permettra d’éviter la duplication des demandes, d’attribuer efficacement la priorité d’imagerie et de répartir les demandes d’imagerie entre les différents centres d’imagerie, afin de minimiser les temps d’attente.
Gérer les demandes d’examen de manière plus efficace afin de réduire les retards
La demande accrue de TDM et d’IRM doit également être prise en compte dans les décisions d’investissement et les décisions stratégiques. L’imagerie médicale est un pilier des décisions de prise en charge des patients, et de nouvelles indications ainsi que de nouveaux algorithmes d’imagerie apparaissent chaque année, ce qui accroît la demande. Dans ce contexte, nous devons nous assurer que nous effectuons l’examen le plus utile, pour le bon patient, dans un délai approprié. La mise en œuvre d’outils d’aide à la décision clinique s’accélère maintenant partout au Canada, et nous nous attendons à une augmentation de la pertinence et de la justesse des demandes d’imagerie en résultant. Pour être plus efficaces, les outils d’aide à la décision clinique doivent intégrer les lignes directrices de pratique en imagerie médicale canadiennes. À cette fin, la CAR collabore avec les médecins demandeurs de première ligne de la médecine de famille et de la médecine d’urgence pour mettre à jour les lignes directrices relatives aux demandes d’examen en imagerie diagnostique.
Gestion du stock d’équipements d’imagerie pour offrir aux patients le meilleur accès et les meilleurs soins
Avant la pandémie, le secteur canadien de la radiologie était déjà mal équipé pour répondre à la demande d’imagerie des patients en raison du manque d’unités d’IRM et de TDM, ainsi que du vieillissement des équipements existants. Selon la « règle d’or » pour le remplacement et la maintenance des équipements d’imagerie médicale, au moins 60 % des équipements installés doivent avoir moins de cinq ans, pas plus de 30 % doivent avoir entre six et dix ans, et moins de 10 % doivent avoir plus de dix ans (8). Les radiologistes canadiens sont actuellement obligés d’utiliser des équipements qui, pour la plupart (66 %), ont plus de cinq ans, et 27 % des équipements ont 11 ans ou plus, ce qui n’est pas conforme aux lignes directrices canadiennes en matière de remplacement des équipements et de maintenance du cycle de vie (9).
Les politiciens doivent tenir leurs promesses de fournir un accès aux soins dans des délais acceptables
Les coûts de remplacement pour moderniser les équipements d’imagerie médicale du Canada sont estimés à 4,4 milliards de dollars d’ici 2040 (2). Pour les soins aux patients, la nécessité de cet investissement est impérative, car les équipements plus anciens ne sont pas toujours compatibles avec les dernières avancées technologiques, ce qui peut entraîner des examens de diagnostic de qualité inférieure et une exposition plus importante aux rayonnements. En outre, les équipements plus anciens sont sujets à des pannes plus fréquentes, nécessitant des temps d’arrêt pour les réparations, ce qui réduit encore davantage l’efficacité et le nombre de patients examinés. En plus d’être plus rapides, plus fiables et d’offrir une meilleure qualité d’image, les nouveaux équipements d’imagerie médicale utilisent moins de rayonnements que les anciens. Les meilleures estimations montrent une réduction de l’exposition aux rayonnements de 10 à 30 % pour un système récent (par exemple, des appareils de TDM ou de radiographie) par rapport à un appareil qui a plus de 5 ans (10). L’imagerie diagnostique et interventionelle est plus précise, plus efficace et plus sûre pour les patients et le personnel lorsqu’elle utilise des équipements modernes et fonctionnels.
Malheureusement, l’acquisition de biens d’équipement dépend souvent des fondations hospitalières et de sources de financement ad hoc. Une source de financement fiable et stable pour l’équipement d’imagerie médicale dans tout le pays, associée à une stratégie axée sur les données pour l’installation de l’équipement financé dans les juridictions qui en ont le plus besoin, serait très bénéfique en cette période où le Canada se remet de la pandémie de COVID-19 et se prépare pour l’avenir.
Recommandations pour assurer la pérennité de la radiologie et du système de santé
Le plus récent mémoire prébudgétaire de la CAR au Comité fédéral permanent des finances comprend les recommandations urgentes suivantes :
- Le budget fédéral 2022 devrait inclure 1,5 milliard de dollars sur 5 ans pour renouveler les équipements d’imagerie diagnostique et interventionnelle afin de fournir aux patients un accès aux soins dans des délais acceptables et de se rapprocher des homologues de l’OCDE
- Le budget fédéral 2022 devrait inclure un plan quinquennal visant à créer une main-d’œuvre plus durable en radiologie
L’Association canadienne des radiologistes s’engage à se rendre disponible pour mettre en œuvre ces politiques dès que possible afin d’assurer une fourniture durable des services de radiologie.
RÉFÉRENCES
- Canadian Association of Radiologists. National Maximum Wait Time Acces Targets for Medical Imaging. Published January 2013 [Accessed 13 December 2021] Available from: https://car.ca/wp-content/uploads/car-national-maximum-waittime-targets-mri-and-ct.pdf
- Sutherland G, Russell N, Gibbard R, Dobrescu A. The Value of Radiology, Part II. Ottawa: The Conference Board of Canada; 2019. [Accessed 20 December 2021]. Available from: https://www.conferenceboard.ca/e-library/abstract.aspx?did=10328
- Schmidt H, Anderson B, Bjarnason T, Butler G, Chegwin T, Dennie C, et al. Radiology Resilience Now and Beyond: Report from the Canadian Radiology Resilience Taskforce Ottawa: Canadian Association of Radiologists; 2020 [Accessed 13 December 2021] Available from: https://car.ca/wp-content/uploads/2020/10/RAD_Resilience-Report_2020_ENG_FINAL-2.pdf.
- Siegal DS, Wessman B, Zadorozny J, Palazzolo J, Montana A, Rawson JV, et al. Operational Radiology Recovery in Academic Radiology Departments After the COVID-19 Pandemic: Moving Toward Normalcy. J Am Coll Radiol. 2020;17(9):1101-7.
- Dowhanik SP, Schieda N, Patlas MN, Salehi F, van der Pol CB. Doing more with less: CT and MRI utilization in Canada 2003–2019. Canadian Association of Radiologist Journal. 2021:in press.
- Bentayeb D, Lahrichi N, Rousseau. L M. Simultaneous Optimization of Appointment Grid and Technologist Scheduling in a Radiology Center. In: Bélanger V, Lahrichi N, Lanzarone E, editors. Health Care Systems Engineering: Springer International Publishing; 2020.
- Zha N, Neuheimer N, Patlas MN. Etiology of Burnout in Canadian Radiologists and Trainees. Can Assoc Radiol J. 2021;72(1):128-34.
- European Coordination Committee of the Radiological EaHII. Medical Imaging Equipment Age Profile & Density Brussels, Belgium: COCIR; 2016.
- CADTH. Diagnostic Imaging Equipment Replacement and Upgrade in Canada; 2016. [Accessed 20 December 2021] Available from: https://www.cadth.ca/diagnostic-imaging-equipment-replacement-and-upgrade.
- European Society of Radiology. Renewal of radiological equipment. Insights Imaging. 2014;5(5):543-6.